Je n’avais jamais senti le soleil aussi chaud sur ma peau. Je suis arrivée en Afrique du Sud le premier février 2024, à la fin de l’été. C’était mon premier long courrier en avion, mon premier long départ de chez moi, et pour la première fois seule. Entre l’aéroport et la ferme de Witklipfontein, dans la voiture de Xavier, qui m’avait chaleureusement accueillie dès mon atterrissage, je découvrais déjà un monde bien différent de tout ce que je connaissais.
Nous avons traversé Johannesburg, avec sa beauté et sa violence, puis des paysages gigantesques se sont ouverts devant nous en entrant dans les premiers territoires de fermes. J’étais frappée de tous les côtés, par ces foules de gens qui marchaient sur le bord des routes, les cabanes de tôle un peu partout, les autruches derrière les clôtures, un ciel d’un bleu profond, et une terre rouge feu.
Mon travail s’inscrit toujours dans un contexte précis, dans un environnement habité par toutes sortes de vivants : une mare, une clairière, une friche urbaine, un jardin d’école. Je cherche à m’immiscer dans un paysage et à révéler, avec une intervention artistique, les êtres qui l’habitent et la poésie qui peut s’y éveiller.
Toujours pour ne pas oublier de s’émerveiller un peu plus de ce qui est vivant avec et autour de nous. Mais pour parler des vivants, pour parler d’un lieu, il faut apprendre à le connaître, pister ce qui y vit, comprendre les cycles qui l’habitent et sentir ce qui s’y trame. C’est pour cette raison que mon travail a pris du temps à démarrer.
Il faut du temps pour connaître un lieu. Un lieu aussi, ça s’apprivoise. Petit à petit, jour après jour, je me suis enfoncée un peu plus loin dans cette nature géante et hostile. Celle-ci m’a souvent ramenée à ma condition, celle d’un animal, proie ou prédateur, vulnérable parfois.
La rencontre avec Lise, l’artiste avec qui j’ai partagé toute cette expérience à Witklipfontein, m’a beaucoup aidée dans la découverte de ce territoire nouveau pour moi, moins pour elle, qui a grandi dans une ferme à quelques kilomètres de là. Nous avons passé beaucoup de temps à échanger sur nos cultures différentes, à confronter les expériences que nous avons vécues, à chercher des coupables dans les conflits qui traversent nos pays, à partager des images ou des chansons. Et puis parfois, à ne pas se comprendre, et à chercher pourquoi, et à faire avec. C’était sain et beau, une amitié sincère est née entre nous.
J’ai pris un rythme que je me suis créé, des chemins que j’ai pris l’habitude d’emprunter, des animaux que je savais où croiser, et mon travail a pu commencer.
Je me suis intéressée à un endroit situé dans un creux entre deux vallées, dans lequel coule un filet d’eau qui varie en intensité et en couleur en fonction du temps. Dans un processus lent et répétitif, je me suis amusée à déposer des papiers buvards qui prenaient l’empreinte de ce qui s’y trouvait.
Ce travail a évolué en une grande toile, qui est restée 18 jours dans ce même endroit et qui s’étend sur des fils de cuivre, comme un voile témoin d’un moment passé, dans ce ruisseau d’Afrique du Sud. Dans une maison paradisiaque comme celle qui accueille les artistes de Witklipfontein, conçue entièrement avec de la terre extraite du lieu, équipée d’un grand atelier et de panneaux solaires, il est difficile de faire abstraction de l’énorme privilège dont nous profitons par rapport aux personnes qui vivent dans les alentours ou travaillent pour la ferme.
J’ai eu beaucoup de difficulté à trouver quelle pouvait être ma place dans ce contexte-là. J’ai entamé un travail de récolte d’histoires par des enregistrements sonores, racontées dans les langues maternelles de chacun·e, d’expériences vécues par toutes les personnes travaillant et vivant sur le terrain de Witklipfontein, afin de pouvoir confronter les points de vue et de les rassembler dans une édition que je suis en train d’illustrer aujourd’hui. Ce travail n’aurait jamais pu se faire sans ma collaboration avec Martin, une des personnes qui travaillent sur la ferme.
Mon expérience à Witklipfontein a été, à l’image de la vie qui bat son plein, grandiose et effrayante, magnifique et confrontante, elle m’a fait grandir et m’a rendue toute petite à la fois